L’ombre de Frédéric Chopin écrit à George Sand
Ma chère âme, mon aimée perdue,
Pas un jour de mon immortalité ne passe sans que je soupire en pensant à ta chère silhouette. Tiens, je te revois, rêvant, les yeux baissés, dans le tableau qui nous unissait sous le pinceau de Delacroix. T’en souviens-tu ? C’était à Nohant, notre ami avait répondu à ton invitation, heureux comme toujours de retrouver le calme et le plaisir de ta compagnie. Un après-midi, nous étions dans le salon de musique, et je jouais pour vous, pour toi surtout. Soudain, Delacroix : “Attendez, ne bougez pas, je voudrais garder la trace de ce beau jour”, et le voilà crayonnant nos deux silhouettes. Le lendemain, il nous montra la toile ébauchée, cette toile qui devait nous unir à jamais ! Delacroix la termina à Paris, il me confia même qu’il avait loué un piano pour l’occasion (nous étions en voyage à ce moment-là).
Hélas, la vie nous a séparés, ma tendre amie…, mais ce tableau témoignait encore de notre bonheur enfui. Il m’était destiné ; par délicatesse, Delacroix le conserva après notre séparation. Ainsi subsisterait ce témoignage poignant de notre vie. Delacroix mourut : horreur, de vils croquants, alléchés par l’appât de l’or, nous ont cruellement séparés une nouvelle fois, coupant notre toile pour mieux nous vendre !
George, j’en souffre d’autant plus que, morts l’un et l’autre, nous ne pouvons rien faire pour réunir nos images… Rien ? Si, mon aimée ! Réentendre le morceau que je t’offrais cet après-midi de 1838 ; c’était ma ballade en sol mineur, celle que tu aimais tant : elle résonne encore, elle résonnera pour l’éternité dans ton regard et dans le mien,
Frédéric
Auteur : Jean-Philippe.
Texte écrit dans le cadre de l’atelier Ecrire l’art (séance consacrée à Eugène Delacroix).