Monsieur Jourdain décide d’apprendre une nouvelle matière
Texte écrit durant une séance de l’atelier Rire
Auteur : Catherine
Scène 1
MONSIEUR JOURDAIN, MOI
Intérieur bourgeois, gentil, bohème mais pas trop car il est plus aisé de retrouver ses affaires quand elles sont bien rangées. Atmosphère reflétant un esprit sensible à l’art sans ostentation, à la musique sans piano à queue et aux valeurs humaines tout autant qu’animales et bientôt végétales. Donc un salon avec un tableau grandeur nature de Louis XIV sur le mur côté cour, de Monsieur Jourdain au centre et de Che Guevara sur le mur côté jardin. Un canapé au centre de la pièce. Un nombre anormalement élevé de chaises qui tournent toutes le dos aux spectateurs. Vingt ans de souvenirs de voyages qui font se côtoyer, sur des étagères, vache en céramique et pingouin de velours pareillement poussiéreux, éventail thaï ouvert et parapluie touareg fermé, penseur de Rodin en modèle réduit et fibule romaine agrandie dix fois, dent de cachalot en sautoir et pyramide de Khéops dans une boule à neige. Des écrans plats entre les tableaux diffusent en boucle les spectacles de Pina Bausch. Quelques mannequins revêtus des costumes traditionnels ruraux du bas-Poitou et de la Haute-Saône, acquis lors d’un salon de l’agriculture. Des étagères de livres, beaucoup, très bien organisées par collections. Dans un coin, une chaine audio diffusant les œuvres de Chomsky. Un mini jardin légumier, une lampe de luminothérapie, un enclos avec quelques chèvres pour le lait. Un guéridon rond au milieu de la pièce avec un énorme vase rempli de lys et de roses roses.
Monsieur Jourdain. – Ah ! Vous voilà ! Ce n’est pas trop tôt ! Qu’aviez-vous à faire de si important ?
Moi. – Je lisais le sujet du tout nouvel atelier d’écriture. Veuillez m’en excuser.
Monsieur Jourdain. – Mais moi aussi, je l’ai lu ! Et je ne vous en attendais donc que plus vite !
Moi. – Certes ! Mais il me fallait déterminer quel savoir j’allais vous transmettre.
Monsieur Jourdain. – Et alors ?
Moi. –J’avais pensé à la tragédie.
Monsieur Jourdain. – La tragédie ? Ça fait rire ça ?
Moi. – Tout dépend. Dans le principe, non.
Monsieur Jourdain. – Quel intérêt ai-je à m’instruire de tragédie si ce n’est pas drôle ? Et puis c’est passé de mode !
Moi. – Oui, mais d’autant plus original ! Il s’agirait que vous en écrivassiez une vous-même.
Monsieur Jourdain. – Que j’en écrivasse ? Vraiment ? Il ferait beau voir que je veuille bien écrivasser une tragédie !
Moi. – Allons ! Vous pourriez être surpris. Ne soyez pas obtus, ce n’est pas dans votre tempérament plutôt ouvert et aventureux !
Monsieur Jourdain. – Ce n’est pas faux. Je suis en effet plutôt ouvert et aventureux dans l’âme. Je voyage tout le temps.
Moi. –Vous voyez !
Monsieur Jourdain. – Mais de quoi parlerait cette tragédie ?
Moi. – De ce que vous voulez ! Trouvez un thème qui vous touche.
Monsieur Jourdain, qui regarde autour de lui – Euh ! Ce pourrait être…voyons…
Moi. – Ne vous censurez pas ! Allez ! Explorez votre vie, votre quotidien, votre imaginaire !
Monsieur Jourdain, dont le regard a balayé anxieusement toute la pièce et s’est fixé sur le bouquet au milieu du salon. – Euh…je ne sais pas…
Moi. – Tout sujet est intéressant ! Allez ! Nous n’avons pas toute la journée non plus! Votre univers intérieur est tellement riche ! Lancez-vous ! Prenez la première idée qui vous passe par la tête ! Ensuite, nous lui construirons une destinée fatale, une fin funeste et inéluctable qui verra se faner ses plus belles espérances.
Monsieur Jourdain, qui n’a toujours pas quitté le vase des yeux. – Eh bien… ce serait à propos du lys…
Moi. – L’histoire d’Ulysse ! Voilà qui est excellent. Les malheurs d’Ulysse coupé de son royaume et qui mettra neuf ans à y retourner ! Quelle tragédie !
Monsieur Jourdain. – C’est l’histoire du lys, ça ? Il retourne dans ses terres ?
Moi. – Oui. Mieux ! Prenons l’épisode d’Ulysse dans la vallée de Circé !
Monsieur Jourdain. – Le lys dans la vallée ?
Moi. – Oui, c’est parfait ! Le moment où il craint d’être transformé en cochon !
Monsieur Jourdain. – Le lys craint d’être transformé en cochon ?!
Moi. – Mais oui, comme ses compagnons !
Monsieur Jourdain. – Les compagnons du lys sont transformés en cochons eux aussi ?! Les roses ?!
Moi. – Oui, les cochons roses si vous voulez ! Imaginons que le héros ne puisse échapper à ce destin ! Ce serait le bouquet !
Monsieur Jourdain, sans conviction mais avec l’enthousiasme du débutant, inquiet mais volontaire, modeste mais secrètement attiré par les trompettes de la renommée littéraire, au moins posthume, inspiré, tremblant et insensiblement enfiévré – Ah !
Moi. – Il est toujours fructueux d’aller s’inspirer de culture antique !
Scène 2
MONSIEUR JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, MOI.
Madame Jourdain entrant brusquement dans la pièce – Nonor ! Il faudrait te dépêcher ! On nous attend pour le brunch !
Monsieur Jourdain. – Ne viens pas me déranger ! Je suis en pleine création !
Madame Jourdain. – Mon pauvre ami, encore en quête d’un chef-d’œuvre inconnu ! Allez ! Viens !
Monsieur Jourdain. – Pas maintenant. Je compose ! Oh ! Et j’ai une idée pour la couverture ! Béatrix, s’il te plait, prends-moi en photo devant le vase. Il lui tend son Iphone.
Madame Jourdain. – Tu penses déjà à la couverture ?
Monsieur Jourdain, qui a enfoui son visage dans le bouquet, s’est piqué aux épines des roses, s’est relevé brusquement, en a fait tomber une chaise qui a rebondi sur un mannequin qui, tombant sur une étagère a fait s’envoler la boule à neige, qui, atterrissant sur la lampe de luminothérapie, l’a allumée, faisant bêler une chèvre. Sauf erreur de ma part, c’est ce qu’on voit en premier, non ?
Madame Jourdain. – Des photos ! Quand on attend du monde à midi ! Ce n’est pas moi qui ai décidé d’inviter ta famille pour un brunch ! Enfin, ta famille ! De vagues cousins que tu ne connais qu’à peine ! Avec lesquels tu n’as que peu d’intérêts communs d’ailleurs ! Un cousin bricoleur et une cousine idiote ! J’espère au moins qu’il ne va pas venir avec sa ponceuse ! Des photos ? Vraiment ? Alors que ma table n’est pas mise, que mon rôti attend son four et qu’il est déjà 11h30. Tu crois vraiment que je n’ai que cela à faire ! Tu sais, ma patience se réduit comme une peau de chagrin !
Monsieur Jourdain. – Eh bien fais vite la photo et je te promets de t’aider à tout préparer !
Madame Jourdain, prenant le parti de s’exécuter. – Et peut-on savoir pourquoi un bouquet ?
Monsieur Jourdain. – Parce que je vais écrire l’histoire d’un lys dans une vallée !
Madame Jourdain. – Un récit plein d’actions !
Monsieur Jourdain. – Eh oui, imagine-toi ! Car il est transformé en cochon ! Avec ses compagnes les roses !
Madame Jourdain. – Des fleurs qui se transforment en cochons, c’est palpitant ! Une jolie comédie !
Monsieur Jourdain. – C’est une tragédie !
Madame Jourdain. – Ah non ! On nage en pleine comédie !
Monsieur Jourdain. – Béatrix, tu n’y connais rien ! Pour la paix du ménage, retourne à ton rôti et je m’occupe de littérature ! J’écris une tragédie !
Madame Jourdain. – Nooooon ! Tu n’as pas dit ce que je viens d’entendre ? Je n’ai pas ouï cette monstruosité sexiste la semaine du 8 mars ?
Monsieur Jourdain. – Je voulais juste dire que tu n’y entends rien en tragédie, en destin inéluctable de nobles personnages !
Madame Jourdain. – Je crois bien au contraire qu’il est un destin inéluctable qui se profile dans cette maison ! Débrouille-toi tout seul avec tes roses, chèvres, cochons, cousins et autres nobles personnages. Moi et mes illusions perdues nous partons ! Je vais me consacrer de mon côté à une étude de femme, de trente ans, abandonnée, supérieure, aux yeux d’or étant plus jeune, dont la grandeur et la décadence est une ténébreuse affaire.
Monsieur Jourdain. – Mais enfin, Béa… J’ai besoin de toi !
Madame Jourdain. – Je ne serai pas la muse du département ! Adieu !
Monsieur Jourdain, se tournant vers moi. – Mais dites-lui quelque chose, vous ! L’idée vient de vous tout de même !
Moi, cherchant une chute à mon texte, pas trop tirée par les cheveux mais ayant tout de même du brillant – La comédie humaine est une tragédie ?
Auteur : Catherine.
Texte écrit pendant l’atelier Rire.